C'est la fin des éditeurs. Devenus de simples marchands, ils n'ont plus notre confiance et la technologie nous en dispense. Ce tableau de Tiepolo fils invite à leur tourner le dos. Grouillot de son célèbre père pendant des années pour brosser des tableaux académiques sans âme, Giandomenico Tiepolo a pris sa mesure après la mort du père, osant des fresques "impubliables" à son époque. A l'imposteur succèda un vrai artiste.

jeudi 1 octobre 2015

"L'aventure humaine de l'édition française"

Éditions La Fabrique, 432 p. 15 €
Un article de Nicolas Devers-Dreyfus, dans L'Humanité du 17 septembre 2015.

De la tablette d’argile au livre numérique, l’écriture a bouleversé l’humanité. Mais ce n’est qu’au XVIIIe  siècle qu’émerge réellement un métier nouveau : celui d’éditeur. Somme d’érudition aux informations rigoureuses, Jean-Yves Mollier réussit avec ce nouvel opus, confié à un éditeur engagé, le pari d’un ouvrage vivant qui ordonne et donne sens à l’histoire de l’édition française. 

D’abord l’écriture, instrument d’aliénation comme l’a montré Pierre Bergougnioux, car liée à la première division du travail, comptage des biens par les scribes sumériens, puis des récits dont les héros sont les propriétaires des moyens de production, des esclaves, de la terre. Mais aussi l’écriture, matrice de la raison, avancée majeure de civilisation, permettant la transmission des savoirs complexes, la scolarisation.

Succédant aux tablettes et aux volumen, rouleaux de papyrus, vient le codex, le livre de parchemin puis de papier, copié puis imprimé. À Lyon, à Paris, tels les célèbres Plantin d’Anvers et les Vénitiens, les métiers d’imprimeur, d’éditeur et de libraire se confondent. Une constance : le risque et la censure, d’Étienne Dolet brûlé vif place Maubert, en 1546, à l’assassinat de l’équipe de Charlie Hebdo.

La spécificité de l’éditeur moderne ne s’affirme qu’à l’époque des Lumières : travail sur les textes, réalisation, diffusion. Ainsi le labeur obstiné de Panckoucke, éditeur des 28 volumes de l’Encyclopédie de Diderot. À un prix correspondant à 6 000 € d’aujourd’hui, 4 200 souscripteurs acquièrent la collection, sans compter le tirage des éditions pirates. Des problématiques très actuelles du droit d’auteur, moral et matériel, à l’explosion de la lecture au XIXe siècle et des grandes dynasties de l’édition française, de l’édition scolaire au récent dynamisme des éditions de jeunesse, de l’aventure du livre de poche aux premiers pas du numérique, Jean-Yves Mollier dresse le tableau d’une autre histoire de l’édition française, dont on découvre certaines des péripéties qui ont tout du polar. On recommande la lecture des pages consacrées aux compromissions sous l’occupation, ainsi qu’à la façon dont la Librairie Hachette et ses messageries opèrent leur rétablissement avec la loi Bichet dans les années qui suivirent.

À la concentration capitalistique, donnant à l’édition le visage d’un « oligopole à franges », succède désormais la prédation des géants du Net, et s’ouvre un nouveau chapitre tout aussi imprévisible que les précédents. Mais la vocation du « passeur » d’imaginaire et de savoirs demeure.

Nicolas Devers-Dreyfus